vendredi 14 décembre 2018

At The Mountains Of Madness



      I don't care much about the Lovecraftian folklore but I always loved his titles.
    Another dark painting (but not completely devoid of hues) for a book to come soon: Fenêtres Sur Un Autre Monde. here, I see submarine mountains with mouths of fire. The starry sky is not what it seems after all. Although some of our submarine creatures are very weird, I definitely don't think we are on Earth.

vendredi 23 novembre 2018

10 superbes pochettes pour 10 albums mémorables


1. Dans la grande majorité des cas, les grands albums ont de belles pochettes. Je veux dire qu'elles sont suffisamment esthétiques, attirantes, tout en collant étroitement à la musique qu'elles "illustrent". Je connais pourtant quelques rares exceptions, particulièrement déprimantes pour moi qui aime les belles choses. Je pourrais citer ainsi l'horrible pochette du "Attack" de Magma (1978) avec probablement les plus beaux titres qu'ait jamais écrits Vander, ou le totalement à côté de la plaque "Hats" de The Blue Nile, un des rares disques mémorables pour moi des années 80 (même si comme celui de Magma, je l'ai découvert bien après cette époque) ou encore la très banale et insipide pochette d'Astral Weeks de Van Morrisson, qui est tout sauf banal et insipide. Celle de Kid A réunit au contraire tout ce que j'aime avec au pinceau un bon peintre Stanley Donwood, très inspiré par la musique, et ça n'était pas gagné vu le style musical de l'album. En voyant la pochette, on a déjà un aperçu grandiose de la splendeur glaciale et brûlante de ce disque apocalyptique qui clôt le vingtième siècle.


2. Une photo cette fois mais une très belle photo. Le cadrage, malgré les apparences, est particulièrement judicieux. Le lettrage, tout simple, est également réussi. The Walkmen fait partie de ces groupes, peu nombreux, qui n'ont jamais loupé un seul de leurs albums depuis le premier, déjà très abouti et personnel, Everyone Who Pretended To Like Me Is Gone (2002) jusqu'à leur dernier avant séparation, le bien nommé Heaven (2012). Néanmoins j'ai une petite préférence pour leur quatrième opus, ou cinquième si on compte leur album de reprises,  You And Me (2008). Peut-être justement à cause de la pochette. C'est un des rares albums, peut-être le seul d'ailleurs, que j'ai choisi pour sa pochette, à une époque où j'ignorais tout de ce groupe. Car hélas, il n'est pas difficile de passer à côté des Walkmen, tant leur reconnaissance populaire est sans rapport avec la qualité de leur musique. Et maintenant, c'est trop tard. Cet oubli est incompréhensible quand on le met en contraste avec le succès incroyable du précédent groupe dont la musique peut être qualifiée sans exagération de difficile (au moins pour l'album ci-dessus). La musique des Walkmen n'est pas difficile. Elle est chaude, très chaude même, vibrante, bien écrite et encore mieux jouée (quel guitariste! quel batteur! quel vocaliste!) avec un son original sans être trop déconcertant. Pourquoi sont-ils inconnus est un des mystères de l'industrie musicale.


3. Pour être honnête, ce n'est pas forcément ma pochette préférée des Jack The Ripper. Mais c'est leur  album le plus mémorable, d'assez loin je crois. Et c'est un très joli tableau, signé Machado, collant très bien à leur univers, très sombre, assez sexuel, mais esthétique et plein de l'entrain d'un cabaret du diable. C'est aussi le seul disque de musique française qui figure ici.

4. Il n'y a pas d'ordre de préférence dans ma liste. Cette pochette n'est probablement pas ma préférée des dix mais une fois encore elle fournit une bonne idée de la musique, ou disons de son esprit, et après tout c'est une jolie peinture réalisée par l'artiste lui-même, Don Van Vliet (véritable nom du Captain) à laquelle cette photo ne rend pas vraiment justice. Tout le monde ne connait pas Captain Beefheart. C'est très "arty". Mais avec des tripes. Son titre le plus connu, "Tropical Hot Dog Night" se trouve sur cet album et vous le connaissez peut-être sans le savoir. Certainement sur ce titre le chanteur le plus génial et le plus délirant et le plus effrayant à la fois. Shiny Beast est dans l'ensemble, avec quelques titres plus dispensables, un heureux mélange entre sa veine dadaïste, bruitiste et sa veine folk mélancolique, très américaine, comme la très belle ballade Harry Irene. Si mes souvenirs sont bons, c'est aussi son avant-dernier album; après il abandonnera la musique pour se consacrer à la peinture. Préférer un petit talent de peintre à un grand talent de musicien chanteur est un drôle de choix, difficilement compréhensible à mes yeux. Mais Captain Beefheart avait la réputation d'être un peu fou, pour de vrai, ce qui explique peut-être cela.



5. Ah, celui-là, qui ne le connaît pas ?! Le choix iconographique est vraiment excellent, rendant parfaitement l'impression de menace souterraine, de peur, de noirceur, de puissance dévastatrice qui se dégage de ce disque jointe au côté chromé, métallique et parfaitement huilé de l'instrumentation. Et pourtant, ce n'est qu'un pauvre petit insecte, absolument inoffensif (pour nous). Il fallait avoir l'idée et le talent du photographe.


6. Non, ce n'est pas mon scan qui est flou. J'adore cette pochette où on voit à peu près ce qu'on a envie de voir mais je ne suis pas sûre qu'elle plaira beaucoup. Les Besnard Lakes aiment le flou impressionniste. Moi aussi, dans une certaine mesure. En tout cas, elle correspond tout à fait à la musique évocatrice, envoûtante et mystérieuse de ce groupe. Il y a peut-être bien un ovni caché dans ce paysage si on cherche bien, mais ce qui est sûr est que ces musiciens adorent vous faire planer dans des espaces infinis. Et ils sont drôlement bons pour ça, tout spécialement dans cet album qui est en somme la quintessence de leur style. Pour moi, ce sont les Pink Floyd du XXIe siècle, avec un guitariste, Jace Lazek, qui n'a pas grand chose à envier au grand ancêtre David Gilmour. Pourquoi ils n'en ont pas le dixième de la reconnaissance publique est inexplicable. Peut-être parce qu'ils sont Canadiens. Ou parce que la chanteuse n'est pas sexy? Allez savoir.


7. Encore une superbe photo (oui je sais il y a toujours des filles sur ces photos mais c'est un pur hasard). Malgré le nom du groupe, qui pourrait signifier fille d'Allah, il n'y a ni fille ni bon musulman derrière cette pochette mais une bande d'Américains poilus qui jouent de la musique qu'on pourrait qualifier de folk rock avec surf et lunettes de soleil. C'est dire s'ils sont cools. Cools mais très bons. Et donc trop bons pour être aussi cools qu'ils le paraissent. Je suis sûre que la fille au long cou écoute leurs romances doucement mélancoliques dans son coquillage. Idéal pour les longs voyages en voiture.


8. Mon disque préféré des Doors avec L.A. Woman. Et de très loin leur meilleure pochette. La cause indirecte de cette réussite est le refus de Jim Morrisson de figurer sur la couverture. Le photographe a fait le reste, plus un zeste de chance apparemment. Si les streets performers - certains sont des acteurs - étaient prévus, je n'ai trouvé en revanche mention nulle part du rôle réservée à la femme en robe de chambre, somptueuse, qui ouvre au petit comique. Or, c'est sa présence qui crée le décalage, l'ouverture sur un autre monde, et donc une bonne partie du sel de cette photo. A noter que Morrisson apparaît finalement bien sur la pochette par l'entremise d'une affiche de concert, aussi bien sur le recto que sur le verso (astucieux de la part de la maison de disque).


9. Curieux destin que ce disque. Composé et réalisé (par Geoff Barrows de Portishead) presque 10 ans avant sa sortie en 2014, sortie décidée alors que le groupe s'était séparé. Pourquoi garder dans un tiroir de pareilles pépites ? Décidément l'industrie musicale est un mystère. Jim Skelly est un excellent chanteur auteur compositeur et il est particulièrement inspiré dans cet album. La musique atteint ici un degré d'aboutissement rarement atteint par le groupe.

10. Je ne suis pas fan des portraits d'artistes en guise de pochette. Mais celui-là est justifié. D'abord, c'est une très belle photo, la plus belle que je connaisse de Lhasa de Sela. Elle est tombée malade durant cet enregistrement et est décédée peu après la sortie de l'album, le premier de l'an 2010. Cela se ressent évidemment dans la musique. En bien. Certains titres au début paraissent vraiment austères, arides, mais le chant de Lhasa n'a jamais été plus émouvant. Et elle possède naturellement une des voix féminines les plus émouvantes que je connaisse. Le concours du très talentueux Patrick Watson apporte un plus indéniable à la musique. Cette fois, Lhasa a abandonné les fantaisies, les paroles en français ou en espagnol pour revenir à sa langue maternelle, l'anglais, ou plutôt l'américain.
Un détail insolite pour finir : Lhasa a écrit une chanson en 2003 qui s'intitule "Para el fin del mundo o el año nuevo", soit "Pour la fin du monde ou le nouvel an". Pour elle, la fin de ce monde a eu lieu effectivement le premier de l'an.

Sur Radiohead : ici.

dimanche 18 novembre 2018

Les avantages de l'auto-édition par rapport à l'édition traditionnelle


En lisant ou en entendant parler des écrivains auto-édités, indépendants, des amateurs pourrait-on dire si le terme n’était pas devenu bizarrement si péjoratif, on arrive rapidement à la conclusion qu’ils ne sont « indépendants » que par la force des choses, qu'ils font de nécessité vertu, et qu’à la moindre opportunité se présentant, même douteuse, ils passeraient aussitôt au statut envié de « pros », pieds et poings liés s’il le fallait et même avec la corde au cou. Je vais ici prendre le contre-pied de cette tendance et montrer que dans la jungle sans foi ni loi de l’édition actuelle, rester un écrivain amateur indépendant a de grandes vertus, si grandes en fait que même les inconvénients, nombreux, sont peu de choses comparés à elles.
Qu’est-ce que nous offre une maison d’édition traditionnelle, quels services objectifs réellement utiles pour l’écrivain ?
- Un tri pertinent entre le bon grain et l’ivraie, parmi les auteurs et dans la production d’un auteur, pas toujours le meilleur juge,
- Une collaboration étroite et éclairée avec l’auteur destinée à améliorer encore le manuscrit, si possible (par principe, on dira que c’est presque toujours possible),
- Une correction, une maquette de couverture et une mise en page de qualité professionnelle,
- Un rayonnement grâce à la force de promotion, au carnet d’adresses et au statut plus flatteur attaché à ce mode de publication.
Bien, ceci est vrai dans l’absolu et dans un monde idéal. Mais qu’en est-il dans le monde dans lequel nous vivons ?
Le point numéro 1 est aisé à réfuter : l’abondance des livres médiocres issus de l’édition traditionnelle est accablante ; en fait la difficulté est d’en dénicher un bon, un vrai livre intéressant, mémorable, qu’on n’oublie pas aussitôt la dernière page tournée, si tant est qu’on atteigne la dernière page.
Le point numéro 2 est plus ou moins une blague : la seule collaboration qu’on aura visera le plus souvent à abaisser les critères de l’écrivain pour satisfaire une demande réelle ou supposée du public.
Les points numéro 3 et 4 dépendent énormément de la maison d’édition. Néanmoins, si on est en contrat avec une maison sérieuse, ayant pignon sur rue, on peut en effet attendre des services réels sur ces plans. Dans tous les autres cas, mieux vaut veiller soi-même à la correction, à la mise en page et à la confection de la couverture. Quant à la promotion que peuvent assurer de petites maisons d’édition, que vaut-elle par rapport à celle que peut assurer un géant comme Amazon, pour prendre un exemple qui ne doit rien au hasard ? Seules des maisons d’édition possédant en son sein ou en « partenariat » des prescripteurs et des électeurs auront un impact vraiment significatif sur la diffusion d’un livre. Et ces éditeurs sont peu nombreux. Les électeurs dont je parle sont ceux qui choisissent les livres pour les distributions de prix. Les prescripteurs, pièces encore plus essentielles, sont les critiques capables de prescrire votre livre à des milliers de lecteurs : ils sont eux aussi peu nombreux. Sans prescripteur digne de ce nom, il est impossible de toucher le lectorat auquel pourrait prétendre un livre, quelle que soit sa qualité.
On voit donc que l’édition traditionnelle n’apporte rien ou presque pour les deux premiers points et que seule une petite partie des maisons d’édition est capable d’offrir des services de qualité pour les points 3 et 4. À ce sujet, on peut être stupéfait de voir le nombre de maisons d’éditions existantes en tapotant sur Internet quand on considère l’état de la littérature française. Que diable peut-il les attirer tous là-dedans ? L’argent des lecteurs ? Non, c’est celui des auteurs avant tout, celui qu’ils devraient toucher si ils n’étaient pas en contrat avec un éditeur. C’est la combine habituelle du tiers qui se met entre le producteur (l’écrivain) et le consommateur (le lecteur) en lui ponctionnant la plus grande part des recettes mais qui ne donne aucun service justifiant la dite ponction (et d’après ce que j’ai lu, elle peut être énorme). Avant, c’est-à-dire avant l’avènement de l’édition en ligne, on appelait cela de l’édition à compte d’auteur, ce qui voulait tout dire. En gros, on payait pour fournir un travail, ce qui est un concept tout à fait bizarre et qui ne peut fonctionner que dans des domaines très particuliers comme la littérature. Ces soi-disant éditeurs se sont reconvertis pour essayer de reprendre à leur hameçon tous ces écrivains sans éditeur et rêvant d’en avoir un, en inscrivant sur leur vitrine un joli nom d’éditeur et en proposant en apparence les mêmes contrats que les éditeurs traditionnels, mais en réalité, leur but est simplement de capter les royalties de l’auteur, du moins une grande partie, en s’interposant entre lui et le distributeur, Amazon ou un autre. Avec l’édition à compte d’auteur, vous payiez d'avance pour un service qui n’arrivait jamais ou de si piètre qualité qu’on ne peut plus appeler ça décemment un service ; maintenant vous payez pendant un temps indéterminé pour un service tout aussi douteux. Le procédé est plus long et plus doux mais le résultat est le même.
La perte financière n’est pas le seul ni le principal problème. De façon plus générale, rester amateur peut s’avérer, dans le monde actuel, la dernière possibilité de créer un objet artistiquement satisfaisant. Si vous n’êtes pas tenu par l’objectif de vivre de vos écrits, vous ne vous sentez pas obligés de vous conformer au courant mainstream, au goût du grand public, au goût des éditeurs, etc. Prendre des risques artistiques n'a que très rarement été payant, surtout au début, à toutes les époques. Mais dans certaines, il existait des mécènes éclairés, des personnes vraiment éclairées. Maintenant, le seul mécène qui existe est l’Etat et ce n’est vraiment pas une lumière. À notre époque, je conseillerais à tout écrivain un tant soit peu ambitieux d’avoir un travail rémunéré sans rapport avec le monde littéraire. Cela a un double avantage : celui de garder le contrôle qualité de sa production sans trop se soucier des modes et des tendances et celui de garder le contact avec la vie « réelle ».
Un des pièges de l’écrivain professionnel est en effet de s’enfermer dans sa tour d’ivoire. L’autre est de se trahir pour appâter le lecteur moyen. Le meilleur exemple que je connaisse est l’écrivain américain Gene Wolfe. Il écrit pour l’essentiel de la SF et du fantastique. Durant une quinzaine d’années, il est resté un écrivain amateur, ou disons semi-professionnel (mais bien incapable de subvenir à ses besoins sans ses jobs rémunérateurs d’ingénieur mécanicien puis de rédacteur scientifique). Presque tous les textes qu’il a écrit à cette époque sont remarquables, de par le style, l’imagination, l’originalité, les qualités de narration hors pair. Au début des années 80, il a eu du succès, critique surtout mais aussi populaire, avec son long roman Le Livre Du Nouveau Soleil et a décidé de quitter son job pour devenir écrivain à temps plein, un vrai professionnel qui ne vit que de ses livres. Il s’est produit alors, en quelques années, une évolution désastreuse dans la qualité de ses écrits, en particulier ses romans. Tâchant de se rapprocher des standards associés aux best-sellers, il a changé complètement son style, limé tout ce qui pouvait déranger l’éditeur, tout ce qu'il pouvait y avoir de trop « difficile » pour le lecteur grand public. De façon un peu ahurissante, il a soudain limité son lexique à quelques centaines de mots en usant volontiers un langage très familier. En même temps, la structure de ses histoires s’est relâchée fortement. Et ce n’est pas étonnant car là où il passait des années à reprendre et à peaufiner une histoire, il devait produire et produire encore plus pour faire vivre sa famille. Et tout ça pour quels résultats ? Est-il devenu plus populaire ? Absolument pas. A-t-il vendu plus de livres par titre ? Non plus, au contraire. Aujourd’hui encore, son livre le plus vendu (facile à voir sur Amazon) est celui cité plus haut, un livre que je n’aime pas beaucoup pour plusieurs raisons que je n’exposerais pas ici mais qui, objectivement, a toutes les qualités de sa grande époque : imagination débordante, originalité, style, virtuosité narrative, poésie, ce à quoi il faut ajouter une architecture d’une complexité et d’une grandeur sans équivalent dans le domaine de la SF. Pourquoi a-t-il échoué alors ? Le talent de pasticheur de Wolfe et sa gamme de tonalités ont beau être considérables, il n’a jamais vraiment réussi à contrefaire l’écrivain à best-sellers qu’il rêvait d’être. Il n’est pas Stephen King ou Dan Simmons. Il ne le peut pas et ne le doit pas. Il est bien mieux que ça. En fait, il a dû faire fuir autant de lecteurs anciens qu’il en a obtenus de nouveaux avec sa nouvelle manière d’écrire et ceux-là étaient bien plus fidèles, dans l'ensemble, que ceux-ci. En exagérant à peine, on pourrait dire que Wolfe a fait un pacte avec le diable. Et comme toujours, il s’est fait rouler.
Ma conclusion est qu’il n’aurait jamais dû abandonner son statut d’écrivain amateur. Sans doute y a-t-il d’autres raisons plus personnelles qui expliquent la flagrante diminution de qualité de sa production, des raisons tenant à sa personnalité propre, à un manque de lucidité, à de mauvais choix, à l'âge peut-être, mais il m’est très difficile de croire que la coïncidence des deux événements soit fortuite.
Pour en revenir à notre pays, soyons lucide, si un écrivain n’est pas dans la droite ligne éditoriale de ce qui se vend ou de ce qui est censé se vendre (on peut avoir des doutes quand on voit l’évolution de la littérature française), il n’a aujourd’hui à peu près aucune chance de se voir publier dans une maison d’édition valable (celles qui rendent de vrais services aux auteurs). Et les autres n’ont aucun intérêt. Si on veut produire de bons livres en dehors du mainstream, mieux vaut donc rester son propre éditeur, avec les petites imperfections inévitables qui découlent de l’autoédition, mais qui permettent de garder le contrôle ainsi que les vertus principales de l’écriture : l’imagination, l’originalité, la sincérité.

jeudi 1 novembre 2018

Mes 10 couvertures de livres préférées

The Devil In A Forest de Gene Wolfe dans l'édition américaine d'Orb Books (1996)

   Cette couverture est pour moi la plus emblématique car c'est un des très rares livres que j'ai achetés principalement pour la beauté de leur couverture.
   Ce n'est jamais la seule raison mais dans ce cas, il est certain que je ne l'aurais pas acheté sans la couverture même si j'apprécie beaucoup l'auteur par ailleurs. Je n'aime pas beaucoup les romans historiques ni les romans de fantasy au décor moyenâgeux et ce roman semblait appartenir aux deux catégories si j'en croyais le texte de présentation (mais il ne faut jamais trop les croire). De plus, il était réputé convenir plus particulièrement aux jeunes lecteurs - réputation parfaitement usurpée - catégorie dont je me méfie encore plus.
   A mes yeux, cette couverture est réussie dans le sens où elle est belle, attirante et donne des informations non mensongères sur le contenu du livre (probablement davantage que le texte de présentation). Il s'agit plus d'un roman mystérieux et plutôt réaliste, se déroulant au Moyen-Age avec un jeune villageois vivant une sorte de parcours initiatique que le roman de fantaisie et de sorcellerie débridées que semblait annoncer l'argument de vente. La peinture est belle bien sûr mais elle est surtout en parfaite adéquation avec le roman, le lettrage est également bien choisi et bien disposé.
   Il faut aussi signaler que les belles couvertures dans les éditions anglo-saxonnes sont choses plutôt rare, ce qui donne encore plus de prix à ce livre. Comme on le verra, nous sommes en France et dans l'ensemble bien mieux loti de ce côté.

Les Mystères de Morley Court de Le Fanu aux éditions Phébus (2010)

   A voir mon choix, on pourrait croire que je ne lis que des romans fantastiques. Ce n'est pas le cas. Mais il est certain que le fantastique se prête merveilleusement aux belles couvertures, mystérieuses et évocatrices tout à la fois. Celle-ci est remarquablement évocatrice de l'atmosphère et du décor où se déroule la majorité des histoires fantastiques de Le Fanu. Mais justement, ce roman, pas plus que tous les romans que j'ai pu lire de cet auteur, n'est en fait fantastique. Si vous cherchez de bonnes histoires fantastiques, les meilleures peut-être qu'on ait écrites avec celles de Poe, Maupassant et quelques autres, il faut lire les nouvelles de Le Fanu, pas ses romans. Non qu'ils soient mauvais - ils peuvent être excellents - mais ils sont avant tout des romans à mystères, généralement dépourvus de tout événement qu'un Français tiendrait pour fantastique.


Le pays de la nuit de Hodgson aux éditions Terre de Brume (2015)
   Voici encore une très bonne couverture. Terre de Brume fait d'ailleurs en général des couvertures remarquables, très soignées, avec un très bon choix iconographique, un très beau lettrage. Le Pays de la nuit serait à mon sens le plus beau roman de science-fiction  si tout était à la hauteur de ses premiers chapitres. Je ne connais rien de plus authentiquement mystérieux, de plus radicalement dépaysant, que ces premiers chapitres du roman. Hodgson est un écrivain un peu maladroit, qui parfois même fleure bon l'amateurisme. Mais il a une imagination et une puissance d'évocation, à son sommet, presque sans équivalent. Pas étonnant que Lovecraft qui partage ces qualités et ces défauts l'ait pris pour modèle.

La chose dans les algues de Hodgson aux éditions terre de brume (2007)

   Je n'ai pas résisté à ajouter cet autre livre de Hodgson toujours chez le même éditeur. Superbe couverture à la disposition idéale. Il s'agit cette fois d'un recueil de nouvelles maritimes fantastiques, un croisement étrange entre Melville (Hodgson a été marin comme ce dernier) et Poe, ou plutôt Lovecraft, sauf qu'il a écrit bien avant. Certaines de ces nouvelles sont excellentes comme La voix dans la nuit.

Carmilla de Le Fanu aux éditions Babel (1997)

   Encore Le Fanu. Cet auteur, comme Hodgson, a de toute évidence inspiré les éditeurs et les créateurs de jaquette. En fait, la disposition de la couverture n'est pas si bonne que ça. En revanche, la peinture est superbe, créée pour dirait-on, avec juste la dose de mystère et d'érotisme qu'il faut (beaucoup de mystère, un peu d'érotisme). De tous les titres de Le Fanu, c'est le plus édité et de très loin bien que ce ne soit pas pas, à mon avis, un de ses meilleurs textes. On doit compter une centaine d'éditions différentes dans le monde anglo-saxon et au moins une dizaine en France, surtout si on compte les inclusions dans des anthologies. Et un point commun qu'ont à peu près toutes ces éditions est la hideur de leur couverture. Cette édition-ci, bizarrement, est actuellement introuvable si j'en crois Amazon.

Solaris de Lem aux éditions Faber & Faber (1970)

   Merveilleux roman. Scientifiquement, surtout quant à la partie physique, il ne tient pas la route mais poétiquement, il est immense. La couverture traduit assez bien la poésie quasi abstraite de la planète Solaris. Si vous voulez voir Solaris en film, choisissez la version de Tarkovsky : le film peut sembler long à démarrer mais il capte l'essence du roman et ajoute encore à sa poésie. Personne ne manie une caméra comme Tarkovski et ce qu'il arrive à faire avec est tout simplement incroyable. Le film américain avec Clooney est regardable mais anecdotique, passe complètement à côté de l'essentiel.

Le promontoire du songe de Hugo édité par La République Des Lettres (2013)

   C'est bien pratique quand l'auteur du texte est aussi dessinateur. Hugo était un bon dessinateur. Celui-ci est un de ses meilleurs. Et il colle évidement parfaitement à son titre. Le lettrage, très sobre, est bienvenu, bien disposé.

Traduction d'Une saison en enfer de Rimbaud chez Crescent Moon Publishing (2012)
   
   Là encore, je suis fortement influencé dans mon choix par la beauté de l'iconographie. et peut-être aussi par mon goût pour les couvertures au fond sombre. Le décentrage de la photo me laisse un peu perplexe et donne un drôle d'effet avec le lettrage du haut. Mais bon, cela reste une très belle couverture. Nettement meilleure que toutes les éditions française que j'ai pu voir de l'oeuvre de Rimbaud : soit on a droit à un portrait de l'auteur soit à un gribouillage de je ne sais qui.

William Blake and the age of aquarius chez Princeton University Press (2017)

   Je voulais absolument un livre de Blake dans cette sélection. Blake est le meilleur dessinateur des grands auteurs. Il a fait de merveilleux dessins. Malheureusement, je n'ai pu trouver une édition de ses livres poétiques ayant une belle couverture, ce qui est un comble. Celle-ci est belle mais  appartient à un livre davantage sur Blake que de Blake.







   J'ai terminé par celle-ci, qui, cela ne surprendra pas grand monde, est  une de mes préférées. Après tout, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. La peinture est plutôt  ici  un écho poétique au roman qu'une fidèle description. Mais il y a bien une déesse de l'amour dedans, et orientale; la cour représentée pourrait être celle du château du récit; alors pourquoi pas. Quant au sympathique petit animal qui fait l'objet de l'attention de la belle, il est tout à fait dans le ton de l'histoire. Allégoriquement parlant, on pourrait en effet dire qu'il s'agit d'une version contemporaine du conte du crapaud transformé en prince charmant par la magie de l'amour.

vendredi 26 octobre 2018

La plus belle femme du monde est une… Skrühl

   Un soleil devenu énorme, rouge vermillon, s’écrasait sur le Marais Hanté. Le quartier des Plaisirs attendait le souffle suspendu que la haute tour de l’Oracle annonce le commencement des réjouissances. À l’entrée de la passe du lagon, l’ancien phare décompta les minutes puis les secondes. Enfin la tête de l’Oracle pivota sur sa base, faisant deux ou trois tours complets comme pour s’assurer de son audience, puis un puissant rayon vert jaillit de son œil unique et balaya les Maisons aussi grotesques que grandioses. Une à une, comme le rayon les touchait, les bâtisses montées sur pilotis allumèrent leur façade et leur enseigne criardes. Des jeux de lumières en 3D donnaient une idée très exagérée du genre de plaisir qu’on pouvait y trouver à l’intérieur. Dans la brume artificielle du Marais que peinaient à traverser les rayons du couchant, les gondoliers automates commencèrent leurs va-et-vient silencieux parmi les spectres lumineux et les ombres démoniaques.
   Il y eut une immense rumeur venu des quais d’Ultor où la foule s’amassait. On pouvait raconter ce qu’on voulait sur le mauvais goût et la vulgarité des Maisons mais le fait est qu’elles reflétaient assez bien les aspirations de leur clientèle. On en trouvait, il est vrai, pour tous les goûts. Il y avait bien sûr la Tour de L’Oracle, peut-être la plus célèbre d’entre elles, bien que sans doute pas la plus visitée : beaucoup répugnaient en effet à connaître leur bonne ou mauvaise fortune avant l’heure ; c’était une peur assez infondée car le Maître du Destin évitait le plus souvent les annonces désagréables. Pour ne parler que des plus réputées, il y avait le Labyrinthe des Secrets, un astucieux assemblage de portes et de parois coulissantes, de trappes, d’ascenseurs bien cachés donnant sur des pièces mystérieuses : on disait que certains visiteurs étaient restés coincés à l’intérieur une nuit et un jour avant qu’un membre de la maintenance ne leur ait montré la sortie. Il y avait la Caverne d’Ali Baba et son trésor introuvable — mais réel, dans le genre sonnant et trébuchant, assuraient les jeunes rabatteurs qui officiaient sur les quais et sur les marchés d’Ultor. Il y avait la Maison de l’Espace où chaque pièce vous transportait littéralement grâce à un monstrueux système de vérins, à travers les douze planètes habitables connues à ce jour et la Maison du Temps où les pièces effectuaient une opération comparable, mais d’une époque à l’autre. Bien entendu, il y avait aussi l’inévitable Maison de l’Argent et ses machines cliquetantes et le non moins inévitable Temple de l’Amour aux prêtresses douteuses. Enfin il y avait le Palais des Masques devant lequel se tenait le jeune Eldòn.
   Ce dernier observait le flot maintenant ininterrompu de gondoles et leurs arrivages aussi bigarrés qu’hétéroclites. C’était ici qu’il avait rendez-vous avec son destin. Le matin-même (ce qui était pour lui le matin, c’est-à-dire une période comprise entre midi et deux heures), le Maître du Destin le lui avait assuré. Son œil unique avait paru clignoter quand il lui avait décrit la fille dont il devait tomber amoureux fou : blonde, d’allure sportive, très grande, d’une beauté sans pareil, une riche et mystérieuse étrangère.
   — Si elle est ainsi, avait-il objecté raisonnablement, ce n’est pas moi qui serais le fou mais elle. Il n’y a rien de fou à tomber amoureux d’une fille pareille. En revanche, il serait fou pour elle de venir. Le Marais a la réputation méritée d’être mal famée de jour et encore plus de nuit. Une fille jeune, belle et riche serait une proie trop tentante pour certains. Sauf bien sûr si elle aussi complètement stupide et il serait déloyal que tu me caches une information aussi essentielle.
   — Elle viendra puisque je te le dis. Peu importe ses raisons. Le Destin a parlé, avait répliqué le borgne sans se laisser démonter. Tu peux ne pas me croire mais réfléchis bien, Eldòn : combien de fois me suis-je déjà trompé ?
   Il n’avait rien répondu. Le Maître du Destin ne se trompait jamais ou presque jamais. Les faits qu’il vous prédisait pouvaient s’avérer insignifiants ou très importants mais vous pouviez être quasi sûr qu’ils se produiraient le jour dit, d’une manière ou d’une autre.
   Eldòn se sentait curieux et excité malgré lui. Oserait-elle venir seule ? Si elle était vraiment telle que le lui avait décrit le Maître, cela semblait incroyable. Plus probablement, puisqu’elle était riche, serait-elle accompagnée d’un garde privé ou d’un de ces cerbères à louer qu’on pouvait trouver un peu partout dans Ultor. Il connaissait bien ces têtes de fer armées jusqu’à la gueule.
   Grande, belle, riche et mystérieuse : cela semblait trop beau pour être vrai. Néanmoins, si le Maître manquait rarement de vous dorer la pilule, il ne mentait pas : cela aurait nui à sa réputation et cela aurait nui à son tour à celle du quartier des Plaisirs. Et pourtant il se méfiait de la rhétorique trompeuse du Maître. Grande, il voyait ce que ça voulait dire. Blonde également. Riche, il pouvait deviner. Mais que signifiait d’une beauté sans pareil ? Avait-elle un seul œil sur le front comme le Maître ? Cela aurait sans doute convenu à la description mais pas du tout à ses espérances.

Pour en savoir plus, c'est ici...


samedi 2 juin 2018

InvasionS

Illustration pour le livre "InvasionS"

La veille, il avait oublié de fermer les volets de sa chambre. Durant la nuit, il avait eu un long rêve, et aurait aimé qu’il dure encore plus longtemps. Maintenant, un flot de lumière pâle mais agréable se déversait par la grande et haute fenêtre jusqu’à la tête de son lit. Il essaya de se renfoncer dans le sommeil et retrouver ce rêve merveilleux mais c’était trop tard, celui-ci le fuyait comme les ombres de la nuit devant le jour naissant. Les yeux mi-clos, il tâtonna pour trouver le vieux radioréveil mais malgré ses efforts, celui-ci refusa de produire autre chose que d’inaudibles grésillements. Ça aussi, il devrait le réparer. Plus tard, comme le grille-pain et le chauffe-eau (celui-ci se trouvait tout en haut de sa liste) auxquels il avait promis une réparation depuis des semaines. Ces objets avaient une sorte d’âme, se disait-il vaguement, une âme élémentaire probablement mais une âme quand même. En revanche, il n’aimait pas les choses neuves et retardait au maximum le moment d’aller au magasin. Pas parce qu’il n’avait pas les moyens de se les payer ou par avarice — du moins il aimait à se le dire — mais par un des rares principes philosophiques qui guidaient sa vie et pour le plaisir qu’il éprouvait à chaque fois qu’une machine se ranimait entre ses mains. Quand c’était possible, il préférait toujours une bonne occasion, et parfois même une mauvaise.
On était au début de l’été et le jour se levait grosso modo à cinq heures. C’était un lever très précoce, même pour lui. Tant pis, il finirait plus vite ce qu’il avait à faire, avant les fortes chaleurs. Aujourd’hui et pendant plusieurs matinées encore, il serait de corvée de bois. Il était déjà bien en retard sur son programme. En fait il n’avait pas de programme et c’était bien ça le problème.
De toute façon, il avait rendez-vous avec la fille Maëva à midi. Une drôle d’heure pour visiter son atelier mais ça ne l’étonnait pas. Les copines de son ami Stan avaient en commun l’absence de tout sens pratique et l’ignorance des heures de repas pour les vraies gens, les besogneux, les gens normaux comme lui, songeait-il en souriant intérieurement. Et c’est pourquoi, supposait-il, faisaient-elles si régulièrement appel à ses services. Pour ça et parfois pour autre chose, réfléchit-il en se sentant émoustillé par quelques souvenirs agréables.
Pieds nus, il se rendit dans la grande cuisine baignée par la même lumière douce — la plus belle pièce de la maison avec son atelier — et se mit à tâtonner à la recherche de la boîte de café dans ce demi-jour. Il versa les dernières miettes qui restaient puis ouvrit un nouveau paquet et tassa une double dose au fond du filtre. Ce serait le seul bon café qu’il prendrait durant les deux ou trois semaines à venir ; il avait intérêt à le savourer. Il alluma la cafetière électrique mais celle-ci refusa de s’allumer. Il tripota le bouton un moment mais le voyant resta éteint. Décidément, songea-t-il, ce n’était pas son jour. Sa liste s’allongeait à vue d’œil.
En attendant, il fit chauffer une casserole d’eau sur la gazinière. Il se consola en pensant que le café était meilleur quand on le passait à la main. Quand l’eau commença de frémir, il éteignit le feu puis versa très lentement l’eau sur le café, très méticuleusement, tout en savourant l’arôme qui se dégageait. Puis il prit sa tasse de café et s’empara d’une lampe torche. Il voulait vérifier le tableau électrique qui se trouvait au fond du garage. Tout était normal. Les pannes de secteur étaient assez courantes par ici et il se trouvait en bout de ligne, ce qui en soi est déjà un handicap. Il se promit que son prochain achat d’importance serait pour un groupe électrogène, d’occasion il va de soi.
Enfin, après avoir farfouillé ici et là, il ouvrit la porte du garage pour se rendre sur la véranda, dans l’idée de profiter des premiers rayons du soleil car celle-ci était orientée vers l’est. Et c’est seulement alors qu’il s’aperçut qu’il faisait nuit. Une nuit plutôt sombre qui plus est, sans lune.

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mercredi 7 février 2018

Publier en ligne avec Amazon et Cie

   J’ai commencé à publier en ligne avec Amazon en 2014, ou peut-être fin 2013, je ne me souviens plus, peu importe. Depuis, j’ai essayé pas mal d’autres plateformes publiant des livres autoédités, francophones ou étrangères, généralement sous forme d’e-books, histoire de m’assurer qu’Amazon était bien la meilleure solution pour moi. En effet, elle l’était. Après donc quatre ou cinq années d’essais divers et variés, j’ai eu envie de faire une sorte de petit bilan provisoire, qui n’a aucune prétention à servir de règle de conduite mais dans lequel chacun pourra sûrement trouver quelques enseignements utiles ou quelque confirmation de sa propre expérience.
   D’abord, il vaut mieux préciser dans quelle cour je joue. J’écris essentiellement de la science-fiction et du fantastique ; j’ai fait quelques incursions, très peu, dans le mainstream tendance imaginative et dans la monographie de dessins érotiques, puisque le dessin est la seconde corde à mon arc et que j’aime croquer des filles nues sur du papier blanc à défaut de les croquer autrement, ou autre part. J’ajoute que j’illustre tous mes livres (non érotiques mais incluant parfois tout de même une fille nue) avec mes propres dessins. Il s’agit donc d’un public assez particulier et disons-le, plutôt restreint, qui s’intéresse à mes livres. Il y a un réel lectorat pour la science-fiction, même en France, mais il est à coup sûr incomparablement plus mince que celui auquel vous pourriez accéder en écrivant des thrillers glauques et diaboliques, des énigmes policières astucieusement tarabiscotées, des romances fleur bleue ou de l’érotisme distillée à l’eau de rose la plus pure. De plus, les lecteurs de science-fiction sont des gens sérieux dans l’ensemble et peuvent être décontenancés par le côté humoristique de mes récits, même si celui-ci est parfois bien caché. Ensuite, ils n’aiment pas beaucoup les illustrations qui leur rappellent, sans doute, les livres qu’ils lisaient enfant et comme je l’ai dit, ils sont beaucoup trop sérieux pour lire des livres d’enfant (même si mes livres ne sont pas destinés à des enfants). Enfin et surtout, la science-fiction est réputée davantage comme une littérature d’hommes que de femmes, or tout le monde sait ou devrait savoir que les lecteurs sont en réalité des lectrices (pour la plupart). Tout cela fait beaucoup de défauts et au final, je dirais que mon lectorat potentiel francophone, payant, doit se situer aux alentours de quelques milliers d’individus répartis dans une demi-douzaine de pays. Inutile de préciser que je suis encore assez loin d’avoir atteint mon potentiel.
   Je n’ai donc pas l’ambition de faire fortune, ni même de gagner ma vie et celle de ma famille, avec mes productions littéraires. Dans le meilleur des cas, je peux envisager de me procurer un complément de revenu, de quoi mettre du beurre sur les épinards quand le temps de la retraite sera venu, à supposer que j’aille jusque-là, à supposer qu’il y ait encore une retraite dans ces temps futurs. Cela fait beaucoup trop de grands si.
   Mon ambition, la seule que je me connaisse, est d’écrire des livres que j’adorerais lire si ce n’était pas moi qui les avais écris. 
   C’est pourquoi je n’utilise pas forcément les méthodes et astuces habituelles de l’écrivain indépendant (dont la caractéristique principale est généralement d’être inconnu). Je ne fais par exemple aucune campagne promotionnelle, en dehors de celles, sans frais, que permettent les diverses plateformes de publication. Dans le cas de KDP select, je me contente de la promotion gratuite pour mes livres en français et de la promotion “compte-à-rebours” pour les traductions en anglais (je me demande d’ailleurs pourquoi cette dernière fonction, assez intéressante, n’est pas disponible pour Amazon France). Pouvoir donner une histoire gratuitement à lire est une fonction très utile pour un écrivain inconnu, sans doute la plus utile. Bien sûr, vous pouvez la poster sur un blog mais le lectorat potentiel sera sans commune mesure avec celui d’Amazon et puis vous risquez de fâcher les gens d’Amazon, si vous avez choisi d’opter pour KDP select et ses conditions draconiennes. Et il peut s’avérer très ennuyeux de fâcher les gens d’Amazon pour un écrivain sans grade. Une autre forme de promotion très simple et très efficace est utilisée par Amazon et par d’autres plateformes, à savoir l’échantillon gratuit, de 10 à 20 % du livre selon les cas. Certains sont plus réussis que d’autres. L’échantillon d’Amazon est très réussi, tout du moins pour les éditions Kindle (ceux des livres brochés sont nettement plus aléatoires et parfois franchement bizarres), de même que celui de Smashwords ; tout le contraire de Kobo/Fnac qui présente une sorte de trou de serrure au milieu des pages et qui ne peut donner envie de lire à aucune être normalement constitué. Certains sites en ligne, comme Youboox, n’ont pas besoin de cette fonction car c’est tout le livre qui est en lecture gratuite, si vous n’avez pas coché la case Premium, ce qui n’empêche pas les auteurs d’être rémunérés, du moins si vous être très patient ou très insistant auprès de leur service comptable.

   Une autre forme de promotion bien connue, pas toujours gratuite, est le bidonnage de commentaires. Sur Amazon, nous en avons des avalanches d’exemples et même si la politique actuelle est à la traque des commentaires de complaisance, les robots policiers de Jeff Bezos ont visiblement encore bien du boulot avant d’en avoir expurgé leur site. Ce truc n’est d’ailleurs pas réservé aux seuls auteurs indépendants car il est patent que des éditeurs ayant pignon sur rue ont leurs pigistes spécialisés dans le commentaire amoureusement délirant du dernier roman de Mme X ou M. Y ; il m’arrive même de penser que c’est parfois l’éditeur lui-même, ou l’agent littéraire de l’auteur, qui écrit ces commentaires extatiques car qui pourrait écrire des niaiseries aussi plates à part un éditeur ? Personnellement, je n’en fais jamais. Et je n’en demande pas suivant la maxime “ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse”. J’estime que ces faux commentaires, cousins des fake news, parasitent non seulement l’opinion des lecteurs, mais aussi de l’auteur en lui donnant des indications trompeuses sur ses écrits. Recevoir un commentaire à 5 étoiles sur Amazon est certainement la pire chose qui puisse arriver à un auteur indépendant. Cela m’est arrivé une fois et je regrette de ne pas pouvoir le supprimer. Dans ce cas, il s’agissait d’un malentendu avec cette personne sûrement bien intentionnée qui croyait apparemment qu’elle me devait quelque chose (je n’en sais rien à vrai dire, je ne la connais pas, sauf par l’entremise d’un site). Avoir un commentaire, même formidablement élogieux, qui réalise une sorte de compilation de fragments de commentaires d’autres lecteurs pris sur divers sites sans ordre ni idée en y ajoutant une quantité impressionnante de fautes d’orthographes, sans doute pour faire plus authentique, et qui n’a probablement pas même ouvert votre livre, n’a évidemment aucune espèce d’intérêt. En fait, je suis persuadé qu’il ne m’a pas fait vendre un seul livre. En revanche, je connais au moins un autre commentaire, très négatif, qui m’en a sûrement fait vendre plus d’un. Ce lecteur qui n’avait de toute évidence pas du tout aimé mon livre révélait en effet par sa critique qu’il l’avait lu, bel et bien, et jusqu’au bout. Qui lirait un livre de 300 pages dans sa totalité à part un éditeur, un correcteur, un professeur de français, un élève puni, un fou ou un robot d’Amazon s’il n’y trouve pas un intérêt certain ? Mon lecteur n’appartenait visiblement à aucune de ces six catégories. En réalité, le seul fait que votre lecteur aille jusqu’au bout de votre roman, surtout s’il est volumineux, même et peut-être surtout s’il n’aime pas ce qu’il lit, est un gage de qualité, toutes considérations de goûts mises à part. Vous trouvez ça paradoxal ? Réfléchissez-y alors encore un peu.
   Pour les livres en anglais, il existe aussi sur Amazon une possibilité de promotion avec enchère où vous attachez votre livre à un produit ou à un thème, des mots-clés par exemple, où chaque clic sur votre publicité vaut une certaine somme que vous définissez à l’avance. Donc, en principe, et si j’ai bien compris, ce qui est rien moins que sûr, plus votre enchère de départ est basse plus vous pouvez avoir de clics (en fonction de la somme maximale que vous êtes prêt à débourser une fois tous vos clics épuisés), sauf que celui qui a l’enchère la plus basse passe après celui qui a un clic de plus grande valeur, ce qui fait que vous n’avez finalement pas intérêt à mettre une valeur trop basse à votre clic si vous voulez que votre pub passe le plus souvent possible.   C’est drôle, non ? Oui, bon, c’est un truc pour Chinois ou Anglo-saxons. Je me trompe peut-être mais je ne vois pas l’intérêt de cette sorte de promotion, sauf si on est déjà un auteur reconnu. Je doute qu’un lecteur achète un livre d’inconnu simplement parce qu’on le lui propose quand il fait une recherche sur un produit ou un auteur qu’il aime. Je pense qu’un échantillon gratuit, à condition qu’il soit suffisamment important et donc représentatif de votre production littéraire, est bien plus efficace. Et puis de toute façon je ne vends pas assez de livres en langue anglaise pour me le permettre. Mais si la fonction était disponible en français, j’y réfléchirais à nouveau, sûrement, rien que pour voir, et parce que c’est assez marrant ces histoires de clics et d’enchères.
   Un autre moyen de promotion disponible est de publier des histoires, courtes cela vaut mieux, sur des blogs ou sites littéraires, des sortes de clubs. Pourquoi pas en effet. Je l’ai fait mais ça n’a clairement pas un grand rayonnement et semble plutôt une affaire de copinage que d’autre chose. De plus, le problème de ces sites est qu'on y trouve beaucoup plus d’écrivains que de lecteurs. Parmi les francophones, Atramenta est à ma connaissance le plus intéressant de ces sites, le plus pratique, le mieux organisé et surtout le plus lu. On peut aussi y publier des livres papier ou électroniques contre modeste rétribution (ce n’est donc pas gratuit contrairement à Amazon). Personnellement, je n’ai pas encore utilisé ce dernier service mais c’est sûrement très bien fait. Désirant réaliser une version e-pub de certains de mes livres, j’ai testé de nombreux convertisseurs en ligne et aucun ne valait celui d’Atramenta. En fait, tous étaient mal conçus, sauf le leur. De toute façon, il m’est difficile de publier des livres ailleurs que sur Amazon, à partir du moment où j’ai choisi de rester sur KDP select, puisqu’on est tenu à l’exclusivité. Ou alors il faut décocher pendant la période où on désire publier ailleurs l’inscription à KDP select, ce qui demande un esprit de prévoyance important puisque la réinscription est automatique. Enfin, le problème d’avoir un prix unique pour le même livre, si on suit la loi française, devient quasi insurmontable. Le seul moyen facile et que j’utilise donc de temps en temps est de concocter des livres ou des histoires spécialement pour les autres plateformes.
   J’ai fini par publier des livres brochés aussi. Sur CreateSpace comme sur Amazon, ce n’est pas plus cher que de publier des livres électroniques, mais c’est plus compliqué, surtout si comme moi, vous agrémentez le texte d’illustrations. En fait, mettre des illustrations, que ce soit pour e-book ou livre broché rend les difficultés d’édition multipliées par cinq. C’est même encore plus redoutable pour les Kindle car vous ne savez pas quel appareil utilisera le lecteur : liseuse ? quelle sorte de liseuse ? tablette ? toutes ont des tailles et des résolutions différentes. Si vous n’êtes pas très motivés par les illustrations, je vous le déconseille donc. Ceci dit, ces difficultés étant résolues, il faut reconnaître que les livres brochés sont d’une qualité assez remarquable si on considère que tout se passe sans aucun contact entre l’auteur/éditeur et l’imprimeur. Pour m’être essayé au livre d’art, je peux dire que le papier utilisé, les couleurs et la qualité d’impression (qui dépend bien sûr de ce que vous envoyez dans la machine) sont tout à fait satisfaisants, de qualité comparable aux livres d’art « grand public » style Taschen. Personnellement, je trouve que CreateSpace a plus de souplesse que le KDP print version bêta d’Amazon, par exemple pour les formats de livre ; en revanche, la procédure est simplifiée sur Amazon et les gabarits fournis sont vraiment indispensables pour ceux qui, comme moi, veulent faire leur couverture eux-mêmes, recto, verso et tranche, et qui ne sont pas experts dans le maniement des logiciels type Photoshop pro.

   En conclusion, j’ai publié des livres sur les plateformes suivantes : Amazon, CreateSpace, Smashwords, Youboox, Xinxii, Kobo ; aucune ne m’a semblé aussi performante qu’Amazon, et de très loin pour certaines. On peut juger Amazon tyrannique, radin, puritain, secret et surtout hégémonique mais le fait est que pour le moment et à ma connaissance, ils sont les meilleurs.

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