jeudi 16 juillet 2015

Illustrer un livre : un charme qui n'enlève rien au texte

Rares sont les livres illustrés comme je les aimerais. D’abord parce que les livres de fictions illustrés sont en effet très rares. Je parle bien entendu des vrais livres, pas des livres pour enfant ou des BD. De mon point de vue, c’est difficilement compréhensible, tant cela peut ajouter à l’attrait du texte. Je me souviens ainsi d’avoir lu Le Double de Dostoïevski, illustré par un dessinateur dont j’ai oublié le nom (mais il aurait mérité que je le retienne) et qui m’avait fait littéralement redécouvrir cet excellent roman fantastique qui m’avait précédemment paru brouillon et manquant de respiration. C’était pourtant le même texte.
Le salaire de l'illustrateur est une raison à cette rareté (dans mon cas, c'est gratuit, ce qui est un gros avantage). La difficulté de rendre décemment à l'impression un dessin ou une peinture et donc le coût associé n’est plus à notre époque numérique un grand problème surtout si on se contente, comme c’est généralement le cas, d’illustrations en noir et blanc. En fait, avec les livres dématérialisés, cette objection n'a presque plus lieu d'être. Je pense qu'une raison bien plus ancrée dans le monde de l'édition "adulte" tient à ce que les illustrations sont connotées « gamin », bibliothèque rose ou livres de remise de prix. En réalité rien n’empêche d’illustrer les livres sérieux, aussi bien Moby Dick que la Recherche du Temps Perdu. En fait les quelques livres illustrés que j’ai eus dans les mains m’ont déçu pour la plupart. D’abord parce que les illustrateurs employés sont généralement médiocres et, j’imagine, pas chers du kilomètre dessiné pour l’éditeur. Ensuite parce que leurs illustrations sont bien trop serviles. Si l’écrivain écrit que son héros conduit une cadillac verte et porte un chapeau mexicain en fumant des havanes, l’illustrateur le représentera sortant de sa cadillac verte fumant un havane sous son chapeau mexicain. Je caricature mais quel intérêt a cette représentation littérale ? Pourquoi répéter obséquieusement ce qui est clairement écrit ? Le comble de cette manière est atteint quand le passage décrit est cité en légende de l’illustration : cela fait un double pléonasme. Bien sûr un dessinateur doué et inspiré peut réaliser un bon dessin en traduisant un élément du texte qui l'a particulièrement frappé. Mais pourquoi se limiter à ce qui est dit ? Dans une histoire, il y a des blancs, des non-dits, des obscurités, des zones de flou : c'est ici que l'illustration prend tout son sel. L’illustrateur peut, et j’ajouterais pour ma part, devrait de préférence nous montrer ce qui est hors texte, ce qui est du domaine de l’imagination du lecteur, en l’occurrence de la sienne. Cela enrichit le texte, donne un nouveau point de vue, élargit le spectre des possibles, peut servir de révélateur.
Dans mon cas, on ne sera donc pas étonné d’apprendre que la majorité des illustrations que je réalise, je dirais deux gros tiers à vue de nez, sont du hors texte, parfois pour le compléter, parfois carrément en parallèle, comme si les deux se situaient dans des univers très légèrement décalés.
L’illustration qui suit ne diffère du texte que par de petites différences : la mer prise dans les glaces est devenue un simple lac gelé, semble-t-il, et le ciel nocturne est illuminé d’une aurore boréale, à moins que ce ne soit un effet du vaisseau plongeant vers la surface, toutes choses non mentionnées dans l’histoire.

Illustration pour ma novella L'Ange Tombé Du Ciel



Dans cette autre, la scène décrite ne figure pas dans l’histoire, l’exploration de la planète aux métaux rares Aldoran, mais il est dit en passant dans le texte que le protagoniste de la nouvelle devait s’y rendre (sauf qu’il en est reparti aussitôt arrivé; c’est tout l’objet de l’histoire). Il s’agit donc d’une ligne divergente du texte même si l’on sait que l’explorateur y est allé dans le passé.

Dessin réalisé pour la maquette de la couverture de la novella L'Ange Tombé Du Ciel


Je pourrais ainsi multiplier les exemples, comme cette dernière image où il est certain que la petite fille n’a pas vu de si près le tigre, sans quoi il est probable que le roman se serait achevé beaucoup plus vite que prévu. Je la vois comme la représentation subjective de la stupeur et de la terreur ressentie par la fillette surprise durant sa baignade.

Image réalisée pour mon roman de space opera, à paraître un jour, "Fille des étoiles"