lundi 7 avril 2014

Orgueil et Préjugés... et ZOMBIES


Roman graphique des Américains Seth Graham-Smith, Tony Lee et Cliff Richards, où l'on voit l'irruption d'une horde de morts-vivants terreux, stupides et méchants dans l'univers merveilleusement policé et ordonné de la noblesse terrienne anglaise du début XIXème vu par Jane Austen. On peut trouver le livre en version francophone chez Casterman.
   La greffe, pour être brutale, n'en est pas moins subtilement réalisée par les trois auteurs (Graham-Smith étant l'auteur du roman, Lee, le scénariste de la BD et Richards le dessinateur) et avec une habilité de chirurgiens experts. En fait je chercherais bien en vain par chez nous une BD parodique exécutée aussi doctement, aussi intelligemment, aussi drôlement, aussi finement quoique puissamment. Parodie n'est d'ailleurs sans doute pas le bon terme pour définir le projet, il s'agit plutôt d'un décalage, immense certes, puisque outre les légions d’innommables (nom donné, enfin si on peut dire, aux morts-vivants dans l'histoire) on y croise aussi des ninjas et des disciples d'un vieux maître chinois en arts martiaux.

Les cinq soeurs du roman originel deviennent ainsi les disciples de Pei Liu de Shaolin, soumises à un entraînement draconien, sous l'oeil vigilant de leur père, les plus grandes tueuses d'innommables de la région.
Malgré l'improbabilité, pour ne pas dire l'invraisemblance du propos, la métamorphose du roman de l'Anglaise est une franche réussite.



Il ne faudrait pas croire que les auteurs se paient la tête de Jane Austen et de sa littérature sentimentale. Au contraire, il est évident qu'ils ont lu et bien lu son roman, car bizarrement la description précise des rouages de la noblesse terrienne, de même que la subtilité et la pénétration psychologiques du roman sont étonnamment conservées. Les outrances sont dans les actes - Comme dans la planche ci-contre où l'héroïne tranche la tête à sa sœur cadette, coupable de bavardage et de superficialité (en réalité, il s'agit d'un phantasme) - mais ne semblent avoir aucune conséquence sur la psyché des personnages. Les amateurs du romans retrouveront les personnages de Jane Austen à la fin du roman graphique à peu près comme ils les avaient laissés. Lizzy est toujours droite, morale, ardente, fière... et pleine de préjugés; Jane est toujours gentille, sage et douce (quoique plus grande tueuse de la famille après Lizzy); Lydia toujours aussi insolente, insouciante et rebelle; Darcy toujours beau ténébreux. Le personnage qui change probablement le moins, qui résiste à tout y compris aux hordes de zombies est certainement la mère des cinq filles. Son objectif grandiose la soutient : marier ses filles à un bon parti.
Enfin, il faut dire un mot du dessinateur qui fait beaucoup pour le charme et l'efficacité du roman. Son élégance, son réalisme, sa délicatesse de trait sont parfaits pour cette histoire. Il rend la transgression encore plus savoureuse. L'erreur aurait été d'opter pour un dessin lui aussi parodique, alourdissant le propos. En plus, Richards est un maître de la représentation du corps humain (et féminin tout particulièrement) sous tous les angles, avec une sûreté de trait jamais prise en défaut. Enfin et surtout, c'est un maître du noir et blanc, qui n'a pas grand chose à envier à ses illustres prédécesseurs, Canif, Pratt ou Brescia, même s'il reste plus classique que les deux derniers.
Pour conclure, la meilleure preuve de la probité et de la sympathie des auteurs pour le roman qu'ils semblent profaner est que leur livre donne envie de lire ou relire le roman de l'Anglaise.

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