samedi 19 avril 2014

Poème-jeu (2)

Qui est-ce ?
Fier ange noir tombé des nues
Brillant de cent métaux inconnus,
Puis vagabond partout sur la Terre
Toujours fier, dur, triste et solitaire.

Évidemment, le sens est ambigu. Pris au pied de la lettre, cela fait songer à un personnage mythique de sinistre réputation. Mais au figuré, cela évoque assez bien un de nos plus fameux poètes, le plus fameux en fait, et selon moi, le meilleur.

Certainement le poème devinette le plus facile de toute la série.

vendredi 11 avril 2014

UCCELLO et ses créatures brillantes (2)

Uccello peint exclusivement la nuit. Ainsi, La Chasse, ou le triptyque consacré à la bataille de San Romano, se déroulent nuitamment contre toutes les règles de la chasse à courre et de la guerre, à cette époque.
De haut en bas et de gauche à droite : 1, 2, 3 :  détails de la Chasse; 4,5,6 :  détails du triptyque de la Bataille de San Romano.

En (3), on distingue à peine la lune au-dessus de la canopée. Comment ce fin croissant pourrait illuminer cette scène ? D'ailleurs l'éclairage de la scène ne semble rien à voir avec ce faible luminaire et paraît davantage provenir des créatures elles-mêmes, plantes, animaux, hommes, tel des objets phosphorescents dans l'obscurité. Ainsi les fleurs dans l'herbe ressemblent à des pièces d'or (1). La peinture d'Uccello est un art de la couleur et non de la lumière. En cela, il se rapproche des anciens maîtres verriers ou des artistes tapissiers. Ainsi, avec ce peintre étrange, on assiste à un étonnant mariage entre deux penchants que tout oppose apparemment : le goût pour la couleur et le goût pour les scènes nocturnes, paradoxe qu'il résout à sa manière.
En (1) on peut voir la flèche dessinée par le curieux ruisseau bleu ciel au milieu de la forêt, et de la nuit ! ainsi que les lignes de fuites tracées par les chiens et gibiers mêlés (2) : tous pointent une même direction, le centre de gravité du tableau, un trou noir.

Finalement, la véritable raison d'être de la nuit dans ces peintures est sans doute qu'elles représentent des scènes de rêve, avec ses règles mystérieuses. Même les combattants (en 4) ont parfois l'air de rêver au beau milieu du champ de bataille. L'or, une des couleurs les plus caractéristiques du rêve avec le noir est omniprésent dans les peintures d'Uccello : de nouvelles pièces d'or ornant les chevaux caparaçonnés (4), un lièvre d'or (5), des oranges et des lances dorées (6).
Pour finir ce beau portrait d'un chevalier pensif et mélancolique : peut-on croire qu'il est au même instant en train de donner le signal de l'attaque, ou de la contre-attaque, avec un chapeau pareil sur la tête ?

Lire la première partie de l'article ici

 

lundi 7 avril 2014

Orgueil et Préjugés... et ZOMBIES


Roman graphique des Américains Seth Graham-Smith, Tony Lee et Cliff Richards, où l'on voit l'irruption d'une horde de morts-vivants terreux, stupides et méchants dans l'univers merveilleusement policé et ordonné de la noblesse terrienne anglaise du début XIXème vu par Jane Austen. On peut trouver le livre en version francophone chez Casterman.
   La greffe, pour être brutale, n'en est pas moins subtilement réalisée par les trois auteurs (Graham-Smith étant l'auteur du roman, Lee, le scénariste de la BD et Richards le dessinateur) et avec une habilité de chirurgiens experts. En fait je chercherais bien en vain par chez nous une BD parodique exécutée aussi doctement, aussi intelligemment, aussi drôlement, aussi finement quoique puissamment. Parodie n'est d'ailleurs sans doute pas le bon terme pour définir le projet, il s'agit plutôt d'un décalage, immense certes, puisque outre les légions d’innommables (nom donné, enfin si on peut dire, aux morts-vivants dans l'histoire) on y croise aussi des ninjas et des disciples d'un vieux maître chinois en arts martiaux.

Les cinq soeurs du roman originel deviennent ainsi les disciples de Pei Liu de Shaolin, soumises à un entraînement draconien, sous l'oeil vigilant de leur père, les plus grandes tueuses d'innommables de la région.
Malgré l'improbabilité, pour ne pas dire l'invraisemblance du propos, la métamorphose du roman de l'Anglaise est une franche réussite.



Il ne faudrait pas croire que les auteurs se paient la tête de Jane Austen et de sa littérature sentimentale. Au contraire, il est évident qu'ils ont lu et bien lu son roman, car bizarrement la description précise des rouages de la noblesse terrienne, de même que la subtilité et la pénétration psychologiques du roman sont étonnamment conservées. Les outrances sont dans les actes - Comme dans la planche ci-contre où l'héroïne tranche la tête à sa sœur cadette, coupable de bavardage et de superficialité (en réalité, il s'agit d'un phantasme) - mais ne semblent avoir aucune conséquence sur la psyché des personnages. Les amateurs du romans retrouveront les personnages de Jane Austen à la fin du roman graphique à peu près comme ils les avaient laissés. Lizzy est toujours droite, morale, ardente, fière... et pleine de préjugés; Jane est toujours gentille, sage et douce (quoique plus grande tueuse de la famille après Lizzy); Lydia toujours aussi insolente, insouciante et rebelle; Darcy toujours beau ténébreux. Le personnage qui change probablement le moins, qui résiste à tout y compris aux hordes de zombies est certainement la mère des cinq filles. Son objectif grandiose la soutient : marier ses filles à un bon parti.
Enfin, il faut dire un mot du dessinateur qui fait beaucoup pour le charme et l'efficacité du roman. Son élégance, son réalisme, sa délicatesse de trait sont parfaits pour cette histoire. Il rend la transgression encore plus savoureuse. L'erreur aurait été d'opter pour un dessin lui aussi parodique, alourdissant le propos. En plus, Richards est un maître de la représentation du corps humain (et féminin tout particulièrement) sous tous les angles, avec une sûreté de trait jamais prise en défaut. Enfin et surtout, c'est un maître du noir et blanc, qui n'a pas grand chose à envier à ses illustres prédécesseurs, Canif, Pratt ou Brescia, même s'il reste plus classique que les deux derniers.
Pour conclure, la meilleure preuve de la probité et de la sympathie des auteurs pour le roman qu'ils semblent profaner est que leur livre donne envie de lire ou relire le roman de l'Anglaise.