mardi 3 mars 2015

Voyelles : un petit test de synesthésie

   Peut-être avez-vous lu, sans doute même, ce joli poème de Rimbaud, léger et ludique, que lui a inspiré la couleur des voyelles. Si vous ne l'avez pas lu, ou si comme moi vous ne vous en rappelez guère plus que quelques bribes, ne le lisez pas, du moins pas tout de suite. Faites le test sans vous faire influencer puis lisez la fin de l'article.

   Rimbaud « voyait » des couleurs quand il pensait à une voyelle. Il paraît que c'est un don. Cela a même un nom : la synesthésie. Cela fait plus sérieux sans doute. Messiaen, pour sa part, associait des couleurs aux notes de musique. Ce n'est pas si extraordinaire, je pense, même s'il semble que ce ne soit pas le cas de tout le monde. Moi, par exemple, je ne vois aucune couleur quand j'écoute de la musique, uniquement des ombres et des lumières. Ce qui est extraordinaire, c'est d'écrire un bon poème avec aussi peu de matière. C'est encore une preuve qu'il n'y a pas besoin de grande idée pour faire un grand poème. Il n'y a peut-être même pas besoin d'idée du tout, sauf si on considère qu'une émotion associée à une image est une idée.

   Personnellement, j'associe aussi de façon spontanée à chaque voyelle une couleur (je vous donnerai ces couleurs tout à l'heure). Et je peux dire que la couleur d'un mot est directement liée à la couleur des voyelles qui le composent, les consonnes ne changeant que très peu le coloris obtenu. En revanche je soupçonne ces dernières de modifier l'intensité lumineuse du mot, les faisant apparaître plus clairs ou plus sombres. Chez moi, la couleur du mot est dominée par la dernière syllabe si le mot en compte plusieurs. Par exemple le pôle est blanc, de même que le prénom Pol. Mais le prénom Paul est marron clair, tendant vers le jaune. La prononciation est la même mais les voyelles diffèrent et modifient le ton. Chez moi, le son n'est donc pas toujours responsable de la couleur, encore moins les consonnes associées aux voyelles. Ainsi le chiffre six a la même couleur que le prénom Francis, rouge bordeaux foncé. Ariel (lle) est vert jaune, comme Gabriel(lle), mais aile est jaune beige et elle est vert comme de l'herbe. Il est blanc, tu est bleu, vous est rouge, de même que nous.

   On peut penser que la couleur associée à certains mots provient de leur couleur effective, ou symbolique. En effet bleu est bleu, mais un bœuf est rouge, comme la viande, et un œuf jaune pâle. Néanmoins yeux est vert foncé et œil d'un vert très pâle, sans une once de brun ou de gris ? Pourquoi ? Je ne connais personne ayant les yeux ou l’œil de cette couleur.


Mes couleurs sont celles-ci :

A = jaune

E = vert

I = rouge

O = blanc

U = bleu



Mais cette palette produit des mélanges curieux. Ainsi le O (blanc) associé au U (bleu) ne donne pas du bleu clair mais du rouge, tirant sur le violet.



Et maintenant, relisons le poème de Rimbaud. Le voici. Ah, nous avons au moins le I en commun !



A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,

Je dirai quelque jour vos naissances latentes :

A, noir corset velu des mouches éclatantes

Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,



Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,

Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;

I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles

Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;



U, cycles, vibrements divins des mers virides,

Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides

Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;



O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,

Silences traversés des Mondes et des Anges :

- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

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